PÉRIGNAC : LÉGENDE D'ARKARA

Le pauvre garçon découvre rapidement qu’il n’est pas en mesure de voyager nu dans l’air un peu trop frais de cette région. Plus Anima accélère, plus son cavalier grelotte dans tout son corps sans en comprendre la raison. Décidément, la vie dans ce canton n’est pas faite pour une bande de naïfs pionniers qui ont connu un paradis sans l’apprécier à sa juste valeur. Anima décide de se poser, tremblant elle-même de froid. Étrangement, les frissons des deux explorateurs cessent aussitôt. Dans cette première expérience, Kana arrive à comprendre qu’il doit se vêtir chaudement lorsqu’il fait froid. Le voyage se poursuit ensuite à une altitude plus basse, et progressivement, la brise devient plus supportable. La licorne passe au-dessus de plusieurs collines plus ou moins fournies en végétation pour finalement découvrir les traces d’une charrette dans le sable. Kana examine celles-ci d’un air déconcerté puisqu’elles disparaissent un peu plus loin devant une vaste étendue de sable. Il trouve même un vieux manuscrit rempli d’écritures et des signes inconnus. Il le place donc dans son baluchon et remonte sur son accompagnatrice. Il n’a jamais vu un désert de sa vie, et s’imagine pouvoir le traverser rapidement. La chaleur devient bientôt insupportable et la soif ne tarde pas à lui faire voir un étang au cœur même d’une mer de sable. Anima trouve surprenant sa demande de se poser pour aller se désaltérer à cette eau qui n’existe pas. C’est un mirage, une hallucination et surtout le signe que son cavalier risque de mourir de soif. Le garçon fait quelques pas avant de s’évanouir. Anima s’empresse de gratter le sol pour y faire jaillir de l’eau rapidement et roule son cavalier de ses sabots devant la source. Kana revient à lui mais lorsqu’il cherche à boire, une voix intérieure lui demande de le faire lentement en se rinçant la bouche et surtout d’avaler par petites gorgées. Le jeune adolescent réalise qu’il serait mort sans l’intervention de sa licorne. Il place ses bras autour de son cou pour la remercier du fond du cœur et vient de comprendre qu’il ne faut jamais s’aventurer dans un désert sans apporter d’eau. Mais comment son père pouvait-il ignorer cela en lui remettant uniquement de la nourriture? Les deux voyageurs atteignent finalement la fin du désert et découvrent un paysage qui rappelle celui d’Atlantis. Cela signifie également que le Cœur royal n’est pas loin. Anima vole joyeusement dans le ciel jusqu’au moment où elle décide d’accélérer en voyant d’imposantes montagnes de fer. Elles ne sont pas de pierres contenant du fer, mais de véritables masses métalliques recouvertes de longs filaments brunâtres. L’énergie qui en émane est si négative que la licorne cherche à s’en éloigner le plus rapidement possible. Un peu plus au nord apparaissent des montagnes de verre. Kana croit découvrir du cristal, mais ce ne sont que des larges plaques de verre très résistant qui reflètent les rayons du demi-cœur fantastique qui se trouve juché sur une tour tiré de ce verre-miroir.

Non loin de la tour se trouve une carrière remplie de morceaux de verre. Le Grand-Prêtre Lemu donne des instructions à ses confrères pour rectifier des miroirs dont la forme n’est pas encore assez précise. La licorne se pose et Lemu tend aussitôt les bras au jeune visiteur en lui demandant s’il a eu de la difficulté à le retrouver? Kana lui raconte ses mésaventures et le religieux secoue tristement la tête en réalisant que les fautifs devront rapidement développer leur instinct de survie. Le jeune adolescent lui explique tout de même que le seigneur Alba cherche déjà à contrôler le groupe et qu’il conteste l’autorité de son père Adamas. Lemu lui répond que l’ancien Grand Superviseur d’Atlantis ne possède plus les outils nécessaires pour prendre des décisions dans ce nouveau canton qu’il considère comme extrêmement périlleux. Il leur faudra un nouveau guide en mesure de protéger justement les nouveaux pionniers de ce monde contre leur ignorance des lois de la nature. Il a déjà aperçu la veille une meute de loups dévoreurs qu’il a réussi à faire fuir grâce à son glaçon magique. Ces bêtes sont attirées par la chair et il faudra apprendre aux fautifs à s’en protéger. Kana demande comment les religieux ont fait pour traverser aussi rapidement le désert et surtout pour parvenir à construire la jolie tour en un seul jour? Le Grand-Prêtre lui montre son glaçon en lui disant joyeusement qu’il est fort utile pour se rendre d’un endroit à un autre instantanément. Puis, il fait remarquer à son visiteur que la tour est là depuis le jour où le Cœur royal a été divisé en deux. Lemu rit de bon cœur lorsque Kana lui avoue qu’il a perdu la notion du temps lorsqu’il a passé de la nuit au jour comme par magie. Le religieux lui explique que ce phénomène porte simplement le nom de « sommeil » et qu’il devra s’y faire comme les autres fautifs. Ils ont tant de choses à comprendre qu’il ne sait par quel bout commencer. Kana lui montre bientôt le manuscrit. Lemu le caresse un moment en lui disant ensuite qu’il s’agit du livre secret du Grand-Maître Adiech. Le garçon croit que l’un des religieux a perdu celui-ci puisqu’il l’a découvert près des traces d’une charrette mais Lemu s’empresse de remettre le manuscrit à Kana en lui disant que ce livre appartient à celui qui vient de le trouver. Il devra toutefois le cacher pour éviter que des mauvais maîtres envieux s’en emparent pour tromper la naïveté de leurs fidèles. Le Maître Lemu révèle au jumeau qu’il marchera énormément au cours de sa longue vie, et qu’il visitera toutes les régions de la Terre. Un jour, il devra confier son manuscrit à un sage qui vit près d’une pyramide. Alors, le Grand-Maître Adiech sera disposé à le prendre comme élève et lui fera gravir les trois marches qu’il lui manque pour atteindre le Mont des Immortels. Entre temps, lui-même aura compris tous les symboles, et pourra ainsi réaliser des merveilles comme cela fut le cas pour le Grand-Maître de la Conscience éveillée. Mais avant d’en arriver là, il devra boire l’eau de la fontaine magique provenant du jardin privé de la Mère Lumière et dissimulée dans un temple rempli de prêtresses. Kana cache rapidement le manuscrit dans son baluchon en attendant de lui trouver un endroit plus sécuritaire. Il avoue ensuite tristement que l’œuf de la survie ne se trouve plus dans le berceau, mais là le Maître le rassure aussitôt en lui disant que celui-ci se trouve à présent à l’intérieur du temple de verre. Un œuf aussi précieux entre de mauvaises mains serait dévastateur. Il s’est donc permis de le confisquer pendant que certains pionniers ronflaient énormément!

Lemu demande à Kana de l’aider à gravir les marches du temple puisque son élève accompagnateur est fiévreux. Il réalise alors comment la vie est bien fragile sans l’intervention du Cœur royal. Autrefois, il n’aurait éprouvé aucune inquiétude à son sujet. Mais à présent, une simple petite maladie peut devenir très grave. Kana lui demande pourquoi le Cœur fantastique ne guérit pas son élève Adep? Lemu soupire en disant qu’il lui faut toute son énergie pour se protéger contre les émanations négatives produites par les montagnes de fer. Selon Phardate, ces amas gigantesques proviennent d’un météorite qui se serait écrasé à cet endroit à l’époque des géants primordiaux. Autrefois, une épaisse végétation recouvrait ces montagnes jusqu’au moment où Baa-Bouk dévasta entièrement la nature. C’est pour cela qu’il faudra tenter de s’en protéger en créant une cité de verre qui pourra ainsi capter l’énergie du Cœur royal grâce à un système de miroirs convexes. Kana pâlit puisqu’il se souvient d’avoir vu justement une cité de verre fondre comme de la cire lorsqu’il se trouvait sur le palier du Mont Bellapar. Il supplie le Maître de trouver d’autres sortes de matériaux pour la bâtir. Lemu respecte les visions du jeune missionnaire mais il ne peut agir autrement. Il sait maintenant que l’effet de ces montagnes accélère le vieillissement ce qui laisse supposer que Baa-Bouk n’était pas le responsable de cette étrange maladie héréditaire des Connients. Ils se sont malheureusement trouvés trop près de ce fer qui devait à l’époque être encore plus aimanté que maintenant. Kana baisse tristement la tête lorsqu’il réalise qu’il perd son temps à essayer de convaincre le Grand-Prêtre. Il fait alors remarquer que la fenêtre triangulaire du temple fut posée à l’envers puisque la pointe se trouve en bas. Lemu sourit en répondant qu’il ne s’agit pas d’une erreur si c’est cela qu’il veut savoir. Il sait très bien que son jeune visiteur cherche à passer sa frustration quelque part. Il s’imagine sans doute, que le Maître est un entêté qui refuse de le croire. Kana est encore trop jeune pour comprendre et surtout, arriver à accepter qu’il perd son temps à vouloir modifier le cours des événements. Il pense sans doute être le seul à savoir que la cité de verre sera détruite un jour et oublie encore de se demander pourquoi un tel désastre va se produire; rien n’arrive sans raison.

Dans le temple, Lemu s’écrase sur une grosse chaise rose et propose à Kana d’aller jeter l’œuf de la survie dans le Cœur royal pour qu’il éclore au plus vite. Le jeune adolescent lui répond sans détour qu’il ne jettera jamais l’œuf de Baa-Bouk dans le Cœur fantastique. Lemu lui fait comprendre que cet œuf n’est pas le monstre, mais son pouvoir animal qu’il ne voulait pas, s’il s’en souvient bien, céder à l’adolescent sans se battre à mort. Lors de son éclosion, le Maître de la survie aura le pouvoir d’inspirer ses pionniers, et ainsi les aider à agir en suivant cet instinct de survie oublié au fond de leur mémoire endormie par la protection « abusive » du Cœur royal pendant des millénaires. Ce pouvoir est celui des forces sauvages et de la procréation et les fautifs possèdent tous une intelligence, un discernement et une âme pour agir malgré tout comme des êtres civilisés et non comme des bêtes. Il termine son discours en précisant que les humains n’accusent jamais cet œuf d’être à l’origine de leur barbarie s’ils ne parviennent pas à respecter les lois de la nature. Kana voit alors le Maître pointer du doigt un petit panier dans lequel se trouve cet œuf. Le garçon s’en approche lentement et lorsqu’il se retourne, Lemu fait semblant de dormir. Lorsque le jeune missionnaire se décide finalement à le prendre, le vieil homme ouvre discrètement un œil pour l’observer. Kana songe un moment, sérieusement à laisser tomber l’œuf sur la plancher, puis se ravise. Il sort du temple et remonte sur sa licorne. Une crainte plus forte que lui fait en sorte qu’il n’est vraiment plus certain s’il doit faire ce que Lemu lui demande. Étrangement, Anima vole d’elle-même en direction du Cœur comme ayant deviné la faiblesse qui contrôlait les intentions de son cavalier. Kana lui demande de monter plus haut pour qu’il puisse jeter l’œuf et change aussitôt d’avis pour les mêmes raisons. Décidément, il ne parvient pas à se décider. Une voix intérieure qui ressemble à celle du Grand-Maître Adiech lui somme de jeter l’œuf mais émotif, le jeune missionnaire doute même de sa voix intérieure. Il pense entendre les rires caverneux du monstre Baa-Bouk qui l’inciterait à croire que c’est lui qui cherche à lui faire accomplir ce geste immoral. Il risque de perdre la raison si Anima n’intervient pas. Elle s’élance vers la face noire du demi-cœur pour faire comprendre à son cavalier qu’elle va se jeter dans le trou pour l’obliger à accomplir sa mission. Kana lance alors l’œuf en criant qu’il veut disparaître à tout jamais si cet œuf fait périr le Cœur royal. Il entend le bruit d’une coquille qui vient d’éclater à l’intérieur du demi-cristal et craint d’avoir fait périr le Maître de la survie. La licorne revient se poser devant le temple et Lemu voit aussitôt Kana se jeter dans ses bras en pleurant à chaudes larmes. Il vient de vivre une rude expérience et avoue que l’œuf s’est brisé par sa faute mais Lemu lui caresse la tête en disant qu’il a plutôt fait naître le Maître de la survie en lui permettant de sortir de sa coquille.

Comme il fait déjà nuit, Kana va dormir dans le temple en compagnie des religieux qui discutent à voix basses pour ne pas le réveiller. Bientôt, un orage éclate et des éclairs terrifiants semblent traverser les murs du temple. Le tonnerre secoue la voûte et des morceaux de verre tombent sur le plancher et s’éclatent avec fracas. Lemu s’empresse de laisser entrer la licorne effrayée par un tel déchaînement de la nature mais les religieux ont vraiment peur car c’est bien la première fois de leur vie qu’ils entendent gronder le tonnerre. Lemu songe évidemment aux pionniers qui doivent s’affoler sur le plateau où l’écho des montagnes amplifiera le bruit produit par l’orage. Tout ce qu’il souhaite, c’est que le Maître de la survie vienne déjà en aide aux pauvres fautifs. La pluie mitraille les murs du temple et tombe le reste de la nuit en laissant entendre sa mélodie vraiment monotone. Au petit jour, Lemu se lève difficilement de sa couche car il n’a pas fermé l’œil de la nuit. Kana se lève et le soutient pendant que le Maître lui sourit en lui disant qu’il veut voir la couleur du ciel. Celui-ci est marbré de noir et de blanc ce qui prouve que le Maître de la survie vient de prendre possession du canton. Cela n’empêche tout de même pas Lemu de s’inquiéter au sujet des pionniers et demande donc à ses deux visiteurs de se placer tout près de lui avant de sortir son glaçon magique. Lemu, Kana et Anima se retrouvent aussitôt sur le plateau. Le Grand-Prêtre le trouve désert. Un peu plus loin, il examine deux charrettes tombées au fond d’un ravin. Il ne veut pas alarmer Kana, mais celui-ci ressent parfaitement l’angoisse du vieil homme pendant qu’il le soutient par le bras à cause de son âge très avancé. Le religieux doute à son tour des pouvoirs de l’œuf lorsqu’il voit des traces de sang devant un buisson situé non loin d’une grotte. Son cœur se réjouit pourtant dès qu’il entend des rires se mêler aux joyeux mugissements de buffles. Il fait quelques pas et découvre finalement un ours noir étendu sur le dos, le museau fracassé par une pierre recouverte de sang qui se trouve près de lui. Des pionniers sortent de la caverne et s’empressent de venir à la rencontre du Grand-Prêtre. Ils sont tellement excités qu’ils parlent tous en même temps, pressés de lui raconter l’acte héroïque du seigneur Alba. Après le départ de Kana, Adamas a demandé de trouver un abri puisque la brise devenait déplaisante comme sensation. Malheureusement, deux charrettes se brisèrent en cours de route et comme elles obstruaient l’étroit chemin, il fallut se résigner à les vider avant de les jeter dans le ravin. Ils trouvèrent cette grotte sauf qu’un ours noir ne tarda guère à grogner devant celle-ci en montrant son mécontentement de lui voir ravir son habitat. Puis un son terrible se fit entendre et des lumières dentelées apparurent dans le ciel. L’ours prit la fuite et revint plus tard, bien décidé cette fois, à reprendre possession de sa caverne. Il se dressa sur ses pattes de derrières et Alba demanda à chacun de lui lancer une pierre pour l’éloigner. La bête devint alors encore plus menaçante, mais Alba sortit courageusement à l’extérieur pour l’affronter. Il lui lança une pierre directement sur le museau et l’ours tomba finalement sur le dos sans bouger par la suite. Lemu tente de remercier le héros qui refuse toutefois de lui adresser la parole, jusqu’au moment où le Grand-Prêtre explique aux autres qu’il va utiliser les bibelots animés pour construire une cité entièrement en verre. L’ancien seigneur fruitier s’amuse à narguer Lemu en disant qu’il va admirer de loin ces jolis serviteurs, et ainsi se rappeler sa gloire d’antan lorsqu’il en était le propriétaire. Lemu se doute évidemment que celui-ci ne reculera devant rien pour s’en rendre maître mais a-t-il le choix car seuls ces bibelots peuvent effectuer ce travail sans être incommodés par les montagnes.

Il faut traverser le désert. Par conséquent, Lemu demande à quelques pionniers de récupérer tout ce qui pourrait servir à contenir de l’eau. Alba rage en grinçant des dents lorsqu’il voit des videurs jeter sa réserve de vin dans le but de réquisitionner ses chères bouteilles. Il crie qu’ils devraient avoir honte de gaspiller ce nectar pour le remplacer par de l’eau de pluie. Il se promet de se venger un jour de cet affront mais ne peut en dire davantage de peur de dévoiler la valeur réelle de leur contenu. Le voyage se fait sans encombre jusque dans la vallée où se trouve le demi-cœur fantastique. Les bibelots sont déjà à l’œuvre; certains taillent habilement les pièces de verre, alors que d’autres bâtissent la future cité. En attendant, les pionniers doivent se construire des abris temporaires en se servant des morceaux de miroirs de la carrière pour se protéger. De loin, le campement ressemble à un petit bidonville mais quelques mois plus tard, quelques nouveaux citadins prennent possession de la cité de verre, sauf la famille d’Adamas et celles de quelques bons amis de celui-ci qui croient en Kana lorsqu’il prétend que cette jolie masse de verre fondra un jour comme de la cire. Évidemment, les citadins se moquent des prédictions d’un jeune illuminé et ridiculisent également ces quelques naïfs qui osent croire en lui. Certaines familles un peu hostiles à vivre en société rapprochées s’établissent sur un plateau peu élevé où le sol est cependant très fertile. Les buffles participent à l’agriculture en donnant non seulement leurs avis, mais traces eux-mêmes les sillons pour les semailles et crachent ensuite dans ceux-ci les graines de blé et de maïs. La vie se déroule paisiblement malgré tout. En peu de temps, Alba prend le contrôle de la cité avec sa bande de fidèles dévots. Ils ont fait main basse sur le marché public et sur l’administration car la mode est à l’exploitation entre citadins. Chacun se plaint aux Grands-Prêtres de s’être fait duper quelque part, sauf qu’on oublie d’indiquer les autres fois où on a fait de même envers les autres. On troque toutes sortes de choses sur la place du marché où des amuseurs publics sont au service d’Alba. Il faut être l’un de ses amis pour ne pas se voir refuser un espace pour y dresser son kiosque. Lemu tente à plusieurs reprises de faire comprendre à la population qu’elle se laisse manipuler par une administration corrompue mais les religieux perdent rapidement leur influence dans cette cité de malheur où l’appât du gain devient loi.

Déjà quatre années viennent de s’écouler et les jumeaux sont devenus de fiers jeunes hommes. Anak est le fils de la terre alors que l’autre passe ses journées à tenter de convaincre les citadins de sortir de la cité puisqu’un grand malheur va la détruire d’ici peu car il a eu une autre vision qui ne lui laisse plus aucun doute à ce sujet. La faucheuse lui est apparue en prenant la forme du chiffre sept. Donc, même s’il connaît déjà le résultat de son intervention, il lui reste encore trois ans pour tenter d’éviter qu’un désastre n’anéantisse tous les citadins. Kana est devenu trop grand pour chevaucher Anima et la jolie licorne s’est faite un nouvel ami, un magnifique cerf blanc appelé Vaurec, qui vit au sommet d’une montagne. Anima lui apporte toutes sortes d’herbes médicinales pour aider sa digestion. L’animal lui avoue se nourrir uniquement de lichens comme ses confrères. Il en est ainsi depuis si longtemps que Vaurec ne peut dire à quelle époque ses ancêtres ont décidé de se cacher au sommet de cette montagne afin d’éviter les énormes crocs d’un monstre noir qui détruisait tout sur son passage. Puis, les loups blancs qui vivent maintenant dans la vallée n’attendent qu’une bonne occasion pour le dévorer avec les siens. La licorne réalise que Vaurec ne connaît rien du monde extérieur et lui parle alors de la cité de verre, des humains, des autres animaux, du Cœur fantastique et même de son ancien cavalier. Le joli cerf peut alors rêver à autre chose que la neige, les loups dévoreurs et les crevasses qui sont en fait les seuls vrais ennemis des cerfs qui finissent un jour ou l’autre par chuter dans le vide.

Alba fait tout pour nuire aux religieux depuis le jour où il s’est fait berner par ceux-ci avec les bibelots animés. Son plan était évidemment de se les approprier pour en faire son armée personnelle et surtout pour forcer les Grands-Prêtres à lui indiquer l’endroit où se trouve le passage qui divise les deux cantons. Mais Lemu et ses confrères ont évité son piège en transportant les bibelots d’un endroit à un autre en se servant de leurs glaçons magiques, de sorte que la secte fut incapable de les suivre dans leurs déplacements. Au moins quatre fidèles d’Alba tentèrent de s’emparer du glaçon d’un religieux mais perdirent la vue pour plusieurs jours. Alba se venge à présent en prétendant que les Grands-Prêtres sont des hypocrites qui lui ont volé ses bibelots pour ensuite les mettre à leurs services. Les citadins veulent bien le croire car ils en ont tous ras-le-bol de cette vie de déportés et veulent retourner à Atlantis malgré l’interdit qui leur semble être en fait, un remarquable mensonge faisant partie d’un supposé plan de punition pour tous. Lemu et ses confrères savent bien que cette haine qui pousse dans le cœur des fautifs est entretenue par la secte d’Alba. Celui-ci ne se gêne même plus pour les ridiculiser publiquement, sauf que les Grands-Prêtres le laisse parler. Aussi, ce qui n’aide pas l’adaptation des fautifs, c’est que dernièrement, les femmes deviennent enceintes sans en comprendre encore la raison. Elles s’inquiètent de se voir grossir dangereusement et leurs époux se demandent sérieusement si cela a un lien avec le vin de citron qui excite leurs sens. Le premier enfant à naître dans la cité est Atlantin, le fils de Mercéür et de Rosia, sa charmante compagne. Celle-ci aime ce garçon depuis qu’elle le regardait travailler méticuleusement dans les vignobles d’Atlantis. Il faut croire que Mercéür était vraiment aveugle à l’époque pour ne pas l’avoir remarquée parmi les centaines d’ouvrières qui cueillaient les grappes autour de lui. Mais à présent que le vin pétillant au citron semble éveiller les natures, Rosia et Mercéür n’ont pas tardé à expérimenter une relation physique. En réalité, le vin agit sur les citadins exactement comme sur les Terriens. Qu’il soit au citron ou non n’a aucunement d’importance! C’est le Maître de la survie qu’il faut pointer du doigt pour toutes ces naissances que connaît cette cité depuis un certain temps. Kana a offert son berceau à Mercéür et à Rosia. C’est lui qui leur a suggéré le nom d’Atlantin pour leur enfant en souvenir d’Atlantis.

Myotis vient de faire exploser le haut pic d’observation de la demeure de Dorgon avec son vaisseau équipé d’un puissant canon destructeur. L’ancien fugitif n’est pas venu seul car en effet, une douzaine de mutants carnivores possèdent déjà leur campement au sommet des volcans qui à part de cracher de la fumée ne présentent en réalité, aucun danger. Les carnivores n’attendent que les ordres de leur chef pour attaquer enfin Atlantis. La situation est très grave, surtout que Myotis se cache en attendant son heure. Phardate et Dorgon savent très bien que celui-ci tentera d’entrer en contact avec Alba et sa secte, et dès qu’il le trouvera, il préparera l’invasion du pays. Seul avec ses compagnons, cela est vraiment trop risqué d’envahir Atlantis où Dorgon et les Croucounains sont tout de même des adversaires redoutables et celui-ci le sait très bien. Comme tout bon prédateur, Myotis ne veut prendre aucun risque inutile. Quelques jours après cette attaque surprise, le petit Barbouille décide d’avertir Kana et les autres que Myotis est de retour. Il dit à ses amis que le dragon Boule-Boule va lui faire traverser les volcans et le transporter ensuite vers les fautifs. Il s’accroche solidement aux pattes du dragon rond et s’élève lentement dans les airs. Dorgon arrive justement afin d’avertir les enfants de ne pas quitter le village par mesure de sécurité. Osis lui répond joyeusement que son petit frère est parti prévenir Kana et les autres de faire également attention au mutant. Le protecteur de la planète regarde d’un air inquiet le petit point vert disparaître dans les nuages. Les enfants pâlissent en voyant la petite étoile picotée se faire déchirer par morceaux et Dorgon réalise ce qui se passe et sait à présent où se cache Myotis. Cependant, il juge inutile de dire à Osis pourquoi l’étoile de son petit frère vient de disparaître mais il doit absolument empêcher son ancien compagnon de quitter le sommet de ces volcans puisqu’il est convaincu que c’est lui qui vient de dévorer ce pauvre enfant. Il monte rapidement dans son navire et découvre à son grand étonnement un campement et des carnivores qui se partagent des morceaux de chairs. Dorgon lève la patte et pulvérise tous les envahisseurs sauf l’un d’entre eux qu’il menace du même sort s’il refuse de lui dire où se trouve Myotis. Celui-ci avoue l’ignorer car son chef lui a simplement promis de se nourrir de chairs fraîches si lui et ses compagnons acceptaient d’envahir le pays. Il devait attendre les ordres en demeurant caché au sommet de ce volcan. Le carnivore accepte toutefois de révéler à Dorgon que Myotis a déjà rétabli le règne carnivore sur sa planète et que des centaines de mutants à petites têtes d’animaux sont dévorés à chaque jour pour nourrir les nouveaux dirigeants. Dorgon éprouve de la difficulté à retenir ses larmes. La colère gronde en lui, contrairement à ces volcans qui n’extirpent que de la fumée de leurs entrailles. Alors le dernier carnivore préfère se jeter en bas de la montagne plutôt que d’être pulvérisé. Le protecteur de la planète pleure en voyant les restes de l’enfant. Son unique consolation est de savoir que Barbouille est mort avant d’être dévoré. Il découvre le dragon étendu un peu plus loin, le ventre transpercé par un projectile. C’est évident que les envahisseurs ont tiré sur lui alors qu’il planait lentement au-dessus des volcans. Une chute à cette hauteur fut mortelle pour l’enfant.

Qui a dit qu’un malheur n’arrive jamais seul! En effet, le joli cerf blanc descend de sa montagne dans le but d’aller rejoindre Anima dans son monde qui doit sûrement être meilleur que le sien! Il ne tarde pourtant pas à être poursuivi par une meute de loups blancs qui sèment la panique générale lorsqu’ils entrent dans la cité de verre. Vaurec pense y trouver la jolie licorne, sauf que celle-ci ne vit pas dans cet endroit. Les animaux se poursuivent en brisant des tables et des kiosques sur la place du marché. Finalement, un filet est lancé sur le cerf blanc par des spéculateurs qui trouvent cette bête tellement belle qu’elle pourrait devenir une véritable attraction. Un religieux libère aussitôt la pauvre innocente bête, et l’introduit dans le temple. Lemu ne peut garder ce cerf bien longtemps et demande à Kana s’il peut lui expliquer pourquoi l’animal s’est introduit dans la cité? Celui-ci regarde Anima d’un air complice. Lemu demande alors à la licorne de venir chercher ce cerf blanc et surtout, de le convaincre de retourner d’où il vient. Lui, qui s’imaginait trouver le bonheur dans cette cité, il en sera malheureusement quitte pour perdre ses illusions à peine amorcées. Anima retourne la nuit suivante chercher son ami et lui demande de porter des chaussettes tricotées par Gracia pour éviter de faire du bruit en marchant sur le pavé miroir mais à quelques mètres seulement de la porte de la cité, les deux bêtes tombent dans le piège tendu par des citadins qui désirent évidemment se servir de Vaurec comme animal d’attraction. Anima regarde l’énorme cage déjà prête à accueillir son compagnon et celui-ci la supplie de ne pas laisser ces monstres l’emprisonner. Il ne pourrait vivre autrement qu’en liberté et Anima le sait si bien qu’elle préfère lui donner son coup de grâce en lui enfonçant si rapidement sa corne dans le cœur que le cerf s’effondre sans émettre le moindre cri de douleur. Anima échappe aux spéculateurs qui répandent ensuite partout la nouvelle que celle-ci vient d’assassiner une pauvre bête innocente. Les jumeaux doivent se présenter au temple de verre en s’imaginant que Lemu désire leur parler de l’étrange comportement d’Anima car Alba se sert de cette histoire pour dire à qui veut l’entendre que cette bête belle en apparence, n’hésite pas à tuer de sang-froid par simple plaisir. Les fidèles d’Alba se mêlent à la foule pour insulter le fils d’Adamas en lui criant de prêcher d’abord à sa licorne le respect de la vie avant de vouloir sauver celle des autres. Anak n’est pas le genre à craindre ces gueulards qu’il repousse sans hésiter lorsqu’ils s’approchent d’un peu trop près pour son goût. Lorsque les Grands-Prêtres sortent du temple pour venir accueillir les jumeaux, Byblos demande à ceux-ci s’ils connaissent la prochaine victime d’Anima? Il demande même pourquoi les fils d’Adamas ont reçu une licorne et une pierre précieuse alors que les autres enfants Paysans ont dû repartir les mains vides? Évidemment, le fils d’Alba cherche à faire comprendre à la foule que les jumeaux sont favorisés par les religieux. Lemu demande à ses invités de ne pas répondre à celui qui ne fait que refléter l’état d’esprit des citadins.

Le Grand-Prêtre offre une tasse de thé aux jumeaux qui n’ont encore jamais vu ce vieillard aussi troublé de leur vie. Avant qu’ils ne s’imaginent à tort qu’Anima soit la cause de sa tristesse, Lemu leur avoue qu’elle est venue d’elle-même lui raconter les faits pour choisir de prendre en compassion ce cerf blanc, son ami, qui ne voulait pas terminer ses jours dans une cage d’attraction. Personne ne semble savoir comment s’occuper d’un corps sans vie dans cette cité. C’est lui-même qui a eu l’initiative de le recouvrir d’une crème inodore qui le conservera contre la décomposition en attendant de le faire transporter sur sa montagne natale où le froid le conservera jusqu’à la fin du monde. Lemu annonce ensuite la mort de Barbouille et même comment Dorgon l’a découvert au sommet du volcan. Il faut un certain temps aux jumeaux pour reprendre le contrôle de leurs émotions car un drame aussi horrible les dépasse. Kana est encore plus triste d’apprendre qu’Osis refuse de laisser les Croucounains incinérer le corps de son petit frère pour que ses cendres reposent devant les marais qui furent son endroit favori tout au cours de sa vie. Le corps du dragon Boule-Boule s’y trouve déjà. Sans connaître les dernières volontés du petit Urus, le religieux est convaincu que c’est près de son ami Boule-Boule qu’il aurait souhaité y faire ensevelir ses cendres et les jumeaux sont du même avis. Il faut donc convaincre au plus vite la fillette de leur remettre la dépouille de son frère qui se trouve à présent dans le coffre que Gad lui a confié en attendant qu’elle se décide à obéir aux Croucounains. Tous essaient de la sortir de son illusion que ce soit les renards, Achiliam et même Gad, car le corps commence à sentir vraiment très mauvais malgré l’épais couvercle qui le recouvre. Osis est si désorientée que son père Colombin devra prendre demain une décision en souhaitant que sa fille accepte cette séparation avant qu’on lui retire son petit frère. Lemu demande aux jumeaux d’aller consoler les enfants, mais surtout convaincre Osis d’accepter de vivre son deuil plutôt que de refuser la réalité. Elle croit ainsi aimer Barbouille en le gardant près d’elle, en prétextant qu’il ne faut pas toucher à son corps sinon le Cœur royal ne pourra lui redonner la vie. Lemu aimerait bien accompagner les jumeaux, sauf qu’il n’a plus d’énergie pour accomplir un tel geste. En fait, il sent que sa mort approche mais refuse de retourner à Atlantis car pour lui, sa place est auprès des fautifs même si beaucoup d’entre eux se moquent des religieux. Il est disposé à ouvrir ce passage qui permettra à ses jeunes amis d’être transportés dans l’autre canton comme par enchantement. Par contre, sans le précieux glaçon magique pour les guider dans ce corridor intemporel, ils devront suivre à la lettre les instructions du Maître Lemu. Il aime autant les prévenir qu’ils seront fort étonnés en réalisant qu’Osis et les autres enfants n’ont pas changé physiquement depuis leur départ. En quatre ans, les jumeaux ont vieilli tellement qu’ils portent déjà la barbe. Lemu accuse les fichues montagnes de fer d’avoir fait vieillir prématurément les pionniers du canton. Ce que Kana retient de tout cela, c’est qu’un abîme temporel le sépare maintenant de celle qu’il aime encore. Il est devenu trop grand pour monter sur le dos de sa licorne et réalise amèrement qu’il a dû vieillir trop vite pour Osis. En lui tenant la main, il aura l’impression de parler à sa petite sœur.

Lemu place son glaçon devant lui en disant qu’il n’existe pas de différence entre le couloir intemporel et celui que les défunts empruntent pour passer dans l’au-delà. Donc, il prévient les voyageurs de ne pas s’étonner de voir la mort elle-même venir les avertir lorsqu’ils devront revenir dans le temple de verre. Un voile lumineux apparaît devant les jumeaux qui s’introduisent alors dans le monde des confusions. Lemu les a prévenus de ne pas s’y attarder puisque des illusions vont tenter de les retenir. Le Maître avait raison puisque Kana est abordé par une jeune Paysanne de son âge qui ressemble à Osis. Elle dit l’aimer et cherche même à l’embrasser. De son côté, Anak voit une jolie licorne de sa taille l’inviter à monter sur son dos en lui disant que c’est à son tour de posséder une monture fantastique. Kana parvient à se libérer de son illusion et doit se battre un moment avec son jumeau pour lui faire comprendre qu’il vient de vivre un simple rêve. Ils finissent par rire de leur naïveté avant de poursuivre cette traversée dans ce passage intemporel. Kana explique à son frère que lorsque les Grands-Prêtres se déplacent avec un glaçon magique, ils passent si vite dans ce corridor qu’ils n’ont même pas le temps de le voir. Malheureusement, ils n’ont pas comme ceux-ci la protection des puissants Maîtres cristallisés pour leur éviter de rencontrer des illusions sur leur route. Lemu a prévenu ses amis qu’ils verront ensuite une autre porte ou encore un voile s’ouvrir devant eux. Ils devront observer deux jumeaux qui prétendent posséder la vérité et tenter de découvrir lequel est celui qui va leur ouvrir la dernière porte. Ceux-ci sont assis à une table et font exactement les mêmes gestes. L’un dit aux visiteurs qu’il est la lumière qui éclaire et son double répond que celle-ci peut également aveugler. Il déclare ensuite qu’il est le flambeau qui éclaire l’Humanité et l’autre réplique que cette torche peut aussi allumer les bûchers. Kana et Anak écoutent un moment ces étranges jumeaux vêtus d’une tunique identique et suivent ensuite la recommandation de Lemu en demandant à ces portiers de se dévêtir afin de les comparer. Le corps de l’un des jumeaux est d’un rouge clair et l’autre d’un rouge foncé. Une voix intérieure dicte à Kana que le rouge clair représente Absou, Maître du Feu de la Vie. Le bon portier est donc celui à la peau rouge clair et les visiteurs lui demandent d’ouvrir la dernière porte. S’il s’est trompé, c’est la porte du non-retour qu’il a fait ouvrir. Kana réalise que le Grand-Prêtre l’accompagne en esprit puisque la voix qu’il vient d’entendre est la sienne. La dernière porte s’ouvre sur Atlantis.

Les jumeaux se retrouvent étendus sur l’herbe tendre et se redressent lentement lorsqu’ils réalisent que des enfants les observent d’un air réservé. Achiliam, Gad, Osis et d’autres jeunes Paysans se demandent évidemment qui sont ces deux étrangers jusqu’au moment où la fillette fixe Kana dans les yeux. Son regard ne peut la tromper et celle-ci s’exclame qu’elle vient de le reconnaître. Mais son geste amorcé est retenu car bien que ce soit lui, elle ne le reconnaît plus. Elle réalise que son amoureux a tellement changé physiquement qu’elle a l’impression de s’adresser à une autre personne. Cela permet tout de même à Kana de lui expliquer que son petit frère n’est plus le même physiquement, sauf que celui qu’elle conserve précieusement dans son cœur restera toujours le petit garçon au visage picoté. Il lui demande si Barbouille souhaiterait vivre dans un coffre ou s’il préfèrerait reposer là où il aimait vivre? Osis veut le bonheur de son petit frère et promet donc à Kana de suivre les conseils des Croucounains. Elle marche en tenant la main d’un jeune homme et avoue ironiquement qu’elle a perdu le fils d’Adamas en même temps que son petit frère. Elle ajoute en souriant que si Kana vit encore comme dans un autre corps, il se peut que Barbouille vive également quelque part en demeurant invisible à ses yeux. Osis parle à présent avec sagesse ce qui prouve qu’elle accepte enfin de vivre son deuil. Elle dit à Kana qu’elle vieillira un jour et qu’elle aimerait bien devenir son épouse. Le garçon réalise que l’amour que lui porte la fille de Colombin est réciproque. Il baisse alors timidement les yeux devant elle avant de lui répondre qu’il risque d’être alors très vieux à ce moment-là. La fillette lui prend la main en disant qu’elle sera alors également assez grande pour lui soutenir le bras. Anak parle un moment avec Gad et celui-ci renouvelle sa promesse d’aller le rejoindre peu importe où il se trouvera. Les jumeaux se regardent d’un air attristé lorsqu’ils voient un étrange personnage se mouvoir à quelques centimètres du sol. Son capuchon lui voile le visage alors qu’il fait signe aux voyageurs de venir le rejoindre. Ceux-ci disparaissent aussitôt comme par enchantement.

Le seigneur Alba s’est proclamé le Grand Administrateur de la cité de verre et les Grands-Prêtres sont aussitôt confinés dans leur temple. Ils ne peuvent recevoir aucun visiteur et sortent uniquement pour se rendre sur la place du marché. Celle-ci est devenue une véritable foire où les marchands sont tellement voleurs et profiteurs que même les religieux se font exploiter comme les autres. Mercéür dresse des petits chiens pour les amuseurs publics qui leur font faire toutes sortes de pitreries pour attirer la clientèle. L’ancien vigneron a offert un superbe animal à Lemu qui l’utilise pour passer des messages à Kana. Mercéür n’aime vraiment pas la vie dans cette cité depuis que son père adoptif continu de l’exploiter. En effet, Alba veut se refaire une réserve d’élixir, quitte à menacer son donneur de s’en prendre à sa petite famille s’il refuse de collaborer. Rosia sait parfaitement que son époux n’est pas ivre comme le prétendent ses voisins. Pourtant, il est souvent absent sans pour autant même quitter la maison. Mercéür part pour ainsi dire en transe pendant plusieurs jours, chaque fois qu’il semble être ivre. Rosia dit souvent en blaguant que son époux est un éternel absent, ce qui suppose qu’il est rarement à ses côtés. Elle comprend surtout beaucoup de choses depuis que Mercéür lui a fait un enfant. Elle a parfaitement deviné les dons particuliers de son époux et surtout pourquoi Alba cherche constamment à le soûler. Il est vrai que l’ancien vigneron aime le bon vin; c’est plutôt le contraire qui surprendrait. Il raffole faire la dégustation des différents crus qui proviennent des vignes cultivées dans les immenses serres de la cité. Toutefois, sa réputation de soûlard n’est pas justifiée puisque personne ne peut savoir s’il marche en zigzaguant à cause de l’alcool ou suite à l’exploitation d’Alba. C’est tout de même grâce au vigneron si Kana parvient à entrer et à sortir illégalement de la cité depuis que les fonctionnaires du dictateur lui interdisent de prêcher publiquement. Le jeune missionnaire admire toujours l’agilité de Mercéür pour grimper sur les murs et lui tendre ensuite une échelle en cordes à chaque matin avant l’aube et une fois le soir lorsque les citadins désertent les rues. Kana est parvenu à convaincre quelques familles de quitter la cité en y abandonnant presque tous leurs biens. Après s’être établis sur le plateau qui entoure la ville, les réfugiés sont soutenus par les autres familles qui possèdent amplement de la nourriture, des vêtements et même assez d’espace pour les loger.

Anak travaille durement dans les champs en compagnie de son père. Il se croit défavorisé par rapport à son jumeau depuis que celui-ci ne l’aide plus à cultiver. Les piètres résultats obtenus par Kana devraient, selon lui, le convaincre que les citadins demeurent indifférents à ses avertissements répétés. Anak est surtout frustré d’avoir toutes les charges sur son dos et ose même déclarer à son père qu’il faut être un peu fou pour oser prêcher dans une cité où Alba promet un retour prochain pour Atlantis. Adamas lui demande de ne pas traiter son jumeau de fou puisqu’il fait son devoir de missionnaire. Anak lui demande alors s’il réalise qu’il fait non seulement son travail dans les champs, mais également celui de Kana? Son père soupire un moment avant de lui répondre qu’il cultive beaucoup trop de champs pour les besoins de la famille. C’est bien joli d’être prévoyant, sauf qu’il faut savoir se limiter à ses véritables besoins. Les trois granges sont pleines à craquer et la moitié du blé va pourrir s’il n’est pas distribué à ceux qui voudront s’en nourrir. Adamas trouve que son fils exagère sans plus, mais Anak s’imagine que son père le prend pour un insensé. Il jette alors sa bêche sur le sol avant de lui dire sur le coup de la colère de demander à Kana s’il peut faire mieux que lui. Pauvre Anak! Ce n’est pas facile pour lui de se savoir le jumeau d’un être aussi exceptionnel que Kana. Pendant toutes ces années il a assisté à ses prodiges, a constaté aussi ses dons particuliers et surtout, à son cheminement spirituel. Cependant, parfois, il se demande sérieusement à quoi doit servir tout cela et en quoi cela le concerne-t-il lui…? Il serait faux de croire qu’Anak jalouse son frère. Il admire tant celui-ci qu’il éprouve cette sensation de n’être devenu plus que son ombre effacée. Puis, combien de fois, fut-il son confident, son complice, son accompagnateur même, et son premier témoin. Il est vrai qu’il a toujours rêvé de posséder une licorne fantastique comme son jumeau. Même s’il ne trouve pas cela injuste, il ne comprend toujours pas où se trouve la logique du Maître du destin qui leur a distribué un destin si différent en somme et craint parfois pour son frère. Alors, par pudeur, il préfère ne rien savoir et surtout, ne rien voir.

Kana trouve son frère dans un pré, assis devant un petit feu, triste et songeur, ses yeux rougis par les larmes. Son jumeau vient s’asseoir devant lui et amorce la conversation en lui demandant s’il peut prendre un épis dans son baluchon. Il réalise que celui-ci a l’intention de quitter la maison. Le missionnaire avoue qu’il a trouvé leurs parents si tristes à son arrivée qu’il n’avait pas le cœur de les regarder pleurer. Anak baisse les yeux en disant qu’il regrette de s’être emporté de la sorte. Il avoue que son père avait raison de le trouver trop prévoyant. Kana lui sourit et lui demande ce qu’il fera lorsque la vallée sera plongée dans le noir? Va-t-il faire des feux partout pour s’éclairer pendant qu’il cultivera tous ses champs? De toutes manières, qu’espère-t-il faire pousser sans la lumière du Cœur royal? Anak est un impulsif; il presse son frère de revenir à la maison en lui affirmant qu’il va délaisser les champs inutiles, couper du bois pour s’éclairer après le désastre, cueillir des plantes médicinales pour soigner les blessés, et même apprendre à vivre la nuit en tentant de s’orienter les yeux fermés. Son discours est accompagné de gestes et il bûche évidemment sur une roche et culbute dessus, ce qui fait éclater de rire son jumeau qui lui demande si cela ne lui rappelle rien? Anak se remémore aussitôt le vieux conteur myope qui, contrairement à lui, pouvait au moins justifier sa maladresse en trébuchant sur une tortue devenue invisible.

Myotis se cache dans l’un des immeubles de la cité depuis quelques jours. C’est lui à présent qui décide de tout et Alba passe malgré lui au second rang. Le mutant lui présente une carte dessinée de sa main et indique une possible crevasse entre les deux volcans. Il ordonne à son assistant d’envoyer un fidèle de la secte vérifier sur place son hypothèse. Il pense avoir remarqué un genre de ravin lorsqu’il passa rapidement au-dessus de cette chaîne volcanique et veut donc s’en assurer avant de faire traverser son armée dans l’autre canton. Présentement, son navire spatial est dissimulé quelque part derrière les montagnes de fer en attendant de s’en servir pour sa conquête de la planète. Alba s’amuse à lui faire remarquer que si son intention était de se servir des citadins pour attaquer Atlantis, il devra oublier cela. Les fautifs gueulent fort pour retourner dans leur canton natal sauf qu’ils refuseront d’y entrer avec des armes. Myotis sait cela et ne s’étonne point de cette remarque acerbe de son inférieur. Il expose son plan infaillible après avoir montré ses deux tubes de mégator. Le premier est celui du vaisseau de Dorgon alors que le deuxième est le sien. Il va falloir constituer une armée de serviteurs zélés qui n’éprouveront aucun scrupule à s’attaquer au canton d’Atlantis. Pour cela, il lui faut du cristal et pourquoi pas le dérober au demi-cœur fantastique qui se laissera docilement trancher en deux par deux navires équipés de puissants rayons? S’il est déjà divisé, c’est qu’il est donc possible de lui en couper encore la moitié pour réaliser des bibelots guerriers. Alba n’est pas convaincu de cela. Le mutant ne tient pas à connaître son opinion de toutes manières. Il se contente d’ajouter qu’il ne veut pas demeurer sur Arkara et qu’une fois qu’il aura la certitude que Dorgon ne risque plus de lui nuire, il préfère régner sur sa planète où le peuple est déjà à ses pieds. Il veut confier la jolie planète à son fidèle ami Alba, lui dit-il d’un ton mielleux. L’ancien seigneur fruitier devient alors beaucoup moins réticent à laisser Myotis réaliser son plan en souhaitant évidemment que celui-ci ne provoque pas sa perte car il doute de son intelligence en matière scientifique.

Alba envoie un membre de la secte accomplir une mission après lui avoir remis une carte. Le jeune homme obéissant sort de l’immeuble administratif et traverse la place du marché dans le but de s’apporter quelques fruits et légumes pour son voyage. Une main se pose alors sur son épaule. Le messager d’Alba se retourne lentement et fixe un court moment le regard attendri de son frère Adep, l’élève accompagnateur du Maître Lemu. Adep veut juste lui dire qu’il l’aime malgré son aveuglement et lorsqu’il le saisit par le bras pour le retenir, la carte s’échappe de sa main. Il pousse craintivement Adep et s’empresse de la ramasser promptement avant de fuir vers la grande porte de la cité. L’élève de Lemu vient de perdre les petits melons qu’il tenait au creux de son bras et les regarde rouler sur le pavé miroir en pleurant. Mercéür s’approche et se penche pour les ramasser à sa place. Il les replace aux creux de son bras en lui souriant d’un air complaisant. Il regarde Adep entrer dans le temple de verre et s’éloigne ensuite en secouant tristement la tête. Il sait très bien lire dans les cœurs bien que cela lui procure beaucoup plus de tristesse que de joie la plupart du temps. Malheureusement, le frère du jeune élève accompagnateur fait partie de cette catégorie de citadins qui s’imaginent trouver la sécurité en servant Alba. Mercéür a toujours refusé de se laisser endoctriner par son père adoptif ce qui ne l’empêche pas d’être exploité par lui. Il regrette de l’avoir connu et surtout de se laisser convaincre chaque fois qu’il lui propose une dégustation de ses nouveaux vins. Il faut croire que les Immortels sont plus vulnérables dans un corps physique que lorsqu’ils se sentent comme des poissons dans l’océan originel!

Quelques jours plus tard, le vaisseau de Myotis traverse en pleine nuit dans le canton d’Atlantis, accompagné par Byblos, le fils d’Alba. Le jeune sculpteur sait ce qu’il doit faire lorsque le navire vient se poser un court instant dans un champ où s’y trouvent déjà deux autres vaisseaux. Byblos s’introduit rapidement dans l’un d’eux, y place un tube de mégator sur le trépied et ordonne aussitôt au navire de décoller et de suivre celui de Myotis. Cela se fait si vite que personne n’y porte attention. Une fois en sécurité près des montagnes de fer, Myotis installe un puissant canon destructeur sur l’autre vaisseau en disant joyeusement à son compagnon qu’il pourra dès demain entreprendre la sculpture de centaines de bibelots qui seront encore plus intelligents que les autres déjà existants à cause de leur matière empruntée au Cœur royal. La disparition du navire oblige les Grands-Prêtres d’Atlantis à se rassembler sous la tour pyramidale pour consulter l’avant dernière page de la légende Dairel. Il est écrit que la cité de verre fondra lorsque deux oiseaux de malheur tenteront de diviser le joli Cœur sans tenir compte de l’énergie qui s’en dégagera. Phardate et les autres savent cela depuis longtemps mais ne peuvent changer le cours des événements. Les seuls qui pourraient le faire sont les habitants de la cité de verre. Lorsque le Maître du destin a fait tourner la page, il n’a pas décidé que les fautifs devaient obéir à Myotis ni à Alba. Par conséquent, c’est leur inconscience qui fermente le fiel de leurs malheurs. Myotis se montre bientôt en plein jour et plutôt que de demander aux Grands-Prêtres d’utiliser leurs pouvoirs magiques pour obliger le mutant à se livrer à Dorgon, les citadins se laissent de nouveau illusionner par celui qui promet de les libérer de leur misère. Dans un ultime effort, Lemu demande à son élève de l’aider à monter sur une tribune et tente de s’adresser à la foule. Il se fait aussitôt huer et même lancer des légumes. Cela ne l’empêche pas de crier aux fautifs qu’ils s’illusionnent s’ils pensent pouvoir retourner à Atlantis. Alors Myotis crie à son tour à la foule de quitter la place publique à moins qu’elle ne veuille écouter le vieux fou radoter. Les têtes se courbent et bientôt le religieux se croit à présent seul avec son élève. Pourtant, lorsqu’il cherche à descendre de la tribune, Mercéür vient le soutenir par le bras. Lemu lui fait un large sourire lorsque celui-ci lui promet d’aller parler à son père adoptif en espérant qu’il fera entendre raison à Myotis. Il quitte ensuite le vieil homme et tient sa promesse. Malheureusement pour lui, Alba craint tellement Myotis qu’il préfère ordonner à des membres de sa secte d’enfermer son ancien vigneron. Mercéür n’offre alors aucune résistance car il songe beaucoup plus à son épouse et son enfant qu’à son propre sort. Il sait par intuition qu’il ne les reverra probablement plus avant que le grand malheur s’abatte sur la cité. Heureusement qu’il a suivi les conseils de Kana en installant sur le plateau sa petite famille afin de les mettre à l’abri. Le jeune prophète lui a prédit tristement que lorsque Myotis se montrera à la foule, la lumière du jour brillera pour la dernière fois sur la cité.

La nuit suivante, deux vaisseaux se rapprochent sournoisement du Cœur sacrifié pour tenter de le trancher mais en le perforant, l’intense énergie lumineuse qui s’en échappe par le haut, dégage une telle chaleur que les navires fondent littéralement de chaque côté de la tour en laissant un genre de couvée de lave le long de celle-ci. Le Cristal explose aussitôt et ses débris qui rasent les hauts immeubles retombent enflammés sur la foule qui ne peut échapper aux tisons ardents. Des citadins s’enfoncent dans le pavé miroir alors que d’autres semblent se couvrir de cire chaude avant d’être décharnés sur-le-champ. Tout se passe si vite que la majorité des habitants ne réalisent même pas l’ampleur de la catastrophe avant de disparaître en cendres. La tour est tordue et ne tient debout que par deux supports formés par ce qui reste des carcasses des engins volants. Les religieux sortent miraculeusement indemnes du temple et s’empressent de secourir les rares survivants qui demeurent saisis sur place, complètement figés par la peur. Le seul à marcher comme une âme en peine est Alba. Il se parle à lui-même en passant devant un bâtiment sur le point de s’écrouler. Lemu supplie son jeune élève d’aller le chercher au plus vite. Il parvient à le ramener près de la tour juste à temps et constate aussitôt que l’ancien seigneur fruitier a perdu la raison. Il le prend pour son fils et entoure un bras autour de son cou en lui avouant qu’il savait bien que ce maudit Myotis allait commettre la dernière erreur de sa vie. Alba regarde ce qui reste des deux vaisseaux et refuse pour ainsi dire d’accepter l’idée que son fils Byblos était dans l’un d’eux. Adep sait très bien qu’il perd son temps à tenter de le raisonner car l’autre est en état de choc.

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